Katyn: le chef d'oeuvre de Wajda enfin en France

Mis en ligne: 2009-04-14

En 2007, le grand cinéaste polonais Andrzej Wajda (Palme d'or au Festival de Cannes 1981 pour L'Homme de fer, film sur la naissance de Solidarnosc) a réalisé "Katyn". Avec près de deux ans de retard, le film sort sur les écrans français. Véritable témoignage sur l'un des crimes les plus cruels du communisme, ce film est également un hommage à son père, Jakub Wajda, capitaine au 72e régiment d'infanterie, qui fut l'un des officiers assassinés à Katyn.

Les faits

Corps des fusillés à Katyn, sortis des fosses communes. Forte du pacte conclu entre l’Allemagne et l’URSS (Pacte germano-soviétique ou Pacte Ribbentrop-Molotov), l’armée rouge franchit la frontière Est de la Pologne le 17 septembre 1939.

Fin Septembre 1939, dans les provinces de l’Est sous occupation soviétique, 230 000 militaires polonais sont faits prisonniers (dont 8 500 officiers de l’armée et 6 200 fonctionnaires de police, garde-frontières et officiers des renseignements). Parmi eux, une douzaine de généraux et une majorité de réservistes issus de l’intelligentsia polonaise, ainsi que de nombreux aumôniers de différentes confessions. À la fin du mois d’octobre, tous ces officiers sont détenus dans les camps de Kozielsk, Starobielsk et Ostashkov. La plupart des aumôniers, quant à eux, sont retirés des camps et assassinés dès Noël 1939.

Le 5 mars 1940, en accord avec la motion adoptée par Lavrenti Beria, le Politburo du Parti Communiste Soviétique prend la décision d’assassiner 14 700 officiers prisonniers, ainsi que 11 000 membres de la Résistance polonaise anti-nazie retenus dans les prisons d’Ukraine et de Biélorussie occidentales, faisant alors partie de l’Etat polonais occupé par l’URSS. Joseph Staline signe l’ordre d’exécution et les prisonniers de guerre polonais sont massacrés au printemps 1940 dans les centres du NKVD dans les forêts de Katyn, Tver et Kharkov.

L’armée allemande, avançant vers l’Est, découvre les charniers de Katyn en avril 1943. Mises en causes, les autorités soviétiques nient la responsabilité des crimes et prétendent que ceux-ci ont été commis par les Allemands en 1941, ce que démentira le procès de Nuremberg en 1946.

Katyn: l'armée polonaise assassinée. Durant toute l’ère de la République Populaire de Pologne (jusqu’en 1989), la vérité des massacres de Katyn a été délibérément falsifiée. Le sujet même était classé secret et les défenseurs de la vérité furent persécutés. Les familles des disparus n’étaient même pas autorisées à allumer des cierges sur les tombes symboliques de leurs proches. Tout changera radicalement après la naissance de Solidarnosc (Fédération des syndicats polonais fondée par Lech Walesa en 1980). À partir de novembre 1981, de nombreux cierges furent régulièrement allumés au cimetière militaire de Powazki à Varsovie, devant une simple croix en bois portant l’inscription «Katyn 1940». Maintes fois les autorités communistes enlevèrent la croix, en vain.

La vérité sur les massacres de Katyn voit progressivement le jour de façon publique entre 1981 et 1989. En 1990, les autorités soviétiques ont admis pour la première fois que des crimes avaient été commis par le NKVD. Deux années plus tard, Eltsine reconnut publiquement que ceux-ci avaient eu lieu sur ordre officiel de Staline. Depuis lors, la vérité, déjà connue quoique occultée s’est étoffée par des révélations officielles sur ce qui s’est passé au printemps 1940, dans la forêt de Katyn et dans les chambres de torture du NKVD à Smolensk, Tver et Kharkov et ailleurs en URSS. Des cimetières existent désormais pour les officiers polonais, mais de nombreux faits restent inconnus à ce jour et de nombreuses tombes de prisonniers de guerre polonais restent recouvertes par la végétation en territoire soviétique.

Le film

Scène du film - rencontre entre officiers Allemands et Soviétiques. Katyn est avant tout un film sur la lutte incessante pour la mémoire et la vérité. C’est aussi un règlement de compte sans compromis avec le mensonge qui a forcé la Pologne "populaire" à oublier ses héros. Quel sens les mots Patrie et Liberté ont-ils dans un Etat polonais d’après-guerre tombé sous la dépendance de l’Union Soviétique ?

A travers le destin de plusieurs familles d'officiers, le film déroule les circonstances qui ont conduit au massacre de Katyn. Il révèle également leur traumatisme, dans une Pologne de l'après-guerre soumise à l'Union Soviétique, où la moindre allusion au drame signifiait répression et tracasseries pour ceux qui contestaient la culpabilité allemande dans le massacre.

Anna, la femme d’un capitaine d’un régiment des Uhlans, attend le retour de son mari. Elle ne peut se résoudre à l’idée qu’il ait été assassiné par les Russes. En avril 1943, l’épouse d’un général apprend la mort de son mari quand les Allemands découvrent l’existence de charniers dans la forêt de Katyn contenant des milliers d’officiers polonais. Silence et mensonges brisent le cœur d’Agnieszka, la sœur d’un pilote qui a connu le même sort...

Du point de vue de Wajda: "le but d’un film sur Katyn n’est pas de faire toute la vérité sur ce qui s’est passé puisque cet épisode est désormais un fait historique et politique reconnu, mais plutôt de relater la destinée tragique de ceux qui l’ont vécu. Katyn montre la vérité dans ce qu’elle a de plus brutal et dont les protagonistes ne sont pas seulement les officiers assassinés mais aussi les femmes qui les attendent, jour après jour, heure après heure, dans un doute atroce. Loyales et inébranlables, persuadées qu’elles verront revenir leurs hommes".

Une distribution confidentielle

Katyn - les éxécutions. Le film, nominé aux Oscars, a été généralement très bien accueilli par la critique - nonobstant les amalgames nés des ignorances historiques de certains commentateurs. La mise en scène est rigoureuse, le jeu des acteurs convainquant, et les décors et les scènes de vie tout à fait dans le ton des années 1940. La tension monte très vite, sans toutefois donner dans un pathos ou dans un suspense artificiels qui seraient ici déplacés. 

Pourtant, le film sort en France dans la plus grande discrétion, dans 13 salles seulement ! On ne peut qu'être surpris par l'étrange refus des grands circuits de distribution de montrer le film au public français. Sans doute Gaumont, UGC et MK2 ont-ils craint de s'attirer des ennuis avec un film "dérangeant" à la limite du "politiquement correct" qui rappelle la collusion entre nazis et communistes dans les premières années de la Seconde Guerre mondiale... Preuve s'il en faut que cet épisode du passé n'est pas encore tout à fait refermé, même aujourd'hui, même en France...

Pour davantages d'informations sur ce film:

http://www.katyn-lefilm.fr/

http://www.beskid.com/View.php?ArticleID=1148

http://www.herodote.net/articles/article.php?ID=547

Jacques Wiacek



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