La course à la Seine

La poussée de la 1ère Armée canadienne

A partir du 15 août, avec la percée polonaise sur la Dives, la progression canadienne sur Falaise, la présence des Américains aux portes d’Argentan et la poussée britannique dans le bocage, le front allemand commença à se fissurer. Le retrait des forces nazies devint général avec la formation, puis la fermeture de la poche de Falaise. Ceux qui n’avaient pas été encerclés refluaient rapidement vers l’est et les nouvelles lignes de défense qu’ils espéraient, conformément aux ordres reçus, pouvoir tenir sur la Seine. Avançant au travers du Pays d'Auge, les Britanniques les pressaient vers le fleuve.

Au nord, la 1ère armée canadienne reprit l’offensive. Après deux mois de relative stabilité du front entre l’Orne et la Dives, son 1er Corps fut lancé dans l’opération Paddle le 20 août. La division aéroportée Pegasus, secondée des Belges (Brigade Piron) et des Néerlandais (Brigade Princesse Irène), attaqua en direction de Dozulé et Brucourt. Ces trois unités continuèrent à remonter le long de la côte en direction de la Seine. En route, la Brigade Belge libéra Deauville le 23 et arriva le lendemain aux portes de Honfleur, tandis que la 6e DA avançait le même jour sur Pont-Audemer. Les unités de l’opération Paddle, après avoir nettoyé la région, étaient prêtes à passe la Seine.

22 août 1944 – l’infanterie britannique occupe Lisieux, qui n’est plus
qu’un tas de ruines. © IWM B9614
Sur le flanc droit, Lisieux, ravagée par plusieurs bombardements, était atteinte le 22 août par les Britanniques de la 7e DB et de la 51e DI. Elle ne sera prise qu’au soir du 23, et il faudra encore 24 heures pour la nettoyer des tireurs embusqués. Finalement, après avoir forcé la Risle, la 7e DB atteindra la Seine le 28 août.

Plus au Sud, le 2e Corps canadien traversait le pays d’Auge par Vimoutiers et progressait en direction de Rouen. Sur leur route, les Canadiens durent venir à bout de plusieurs poches de résistance dans la forêt de la Londe, pour laquelle de durs combats se prolongèrent les 26 et le 27 août. Les 2e, 3e, et 4e Divisions canadiennes franchirent la Seine près d'Elbeuf et atteignirent Rouen le 30.

La seconde armée britannique marchait également plein est. Le 12e Corps approchait de Louviers, mais le 30e en chemin vers Vernon s’emmêla avec l'axe de progression du 19e Corps américain, qui remontait du Sud en direction d’Elbeuf. Les embouteillages qui résultèrent de cette confusion firent perdre un temps précieux aux deux Corps d’Armée. En dépit de la résistance allemande et de ces quelques erreurs de navigation, les Britanniques rejoignirent les Américains à Elbeuf dès le 26.

Les Allemands passent la Seine

Malgré la succession rapide des opérations dans la poche de Falaise, plusieurs dizaines de milliers d’Allemands avaient réussi à s’échapper de Basse Normandie avant que les pinces des armées alliées ne se referment à Chambois. D’autres encore avaient réussi à sortir au cours des combats pour la poche. Au final, avec les garnisons et les troupes d’occupation, c’est plus de 250 000 soldats qui étaient cantonnés sur la rive gauche de la Seine dans les derniers jours d’août. Ces troupes, harcelées par les FFI et poursuivies par les alliés, cherchaient désormais à se dérober vers l’Est. La prise de Mantes par la 3e Armée de Patton, et la progression des Anglo-Canadiens sur le flanc Nord, créaient en effet le risque d’un nouvel encerclement.

Pour se sortir du piège avant qu’il ne soit trop tard, les Allemands réussirent à réorganiser quelques points de défense destinés à ralentir la progression alliée le temps de trouver un moyen de passer le fleuve.

Sur le flanc nord, les restes du 86e Korps s’opposaient au 1er Corps britannique, retardant autant que possible sa marche vers l'estuaire. Au sud, le 81e Korps avait la délicate mission de ralentir les Américains. Entre ces deux corps d'armée relativement frais même si composés d'unités de faible valeur, le centre du dispositif allemand était constitué de ce qui, écrasé par le rouleau compresseur allié, était parvenu à s’échapper de la poche de Falaise: formant des défenses souvent improvisées, quelques canons anti-chars habilement positionnés permettent néanmoins de retarder pour quelques heures la ruée des blindés alliés.

Août 1944 – deux canons automoteurs détruits par les bombarde-
ments alliés sur la rive gauche de la Seine.
Le recours à ces arrières-gardes laissa suffisement de temps au génie allemand pour aménager plusieurs points de passage sur la Seine. A Rouen, le pont ferroviaire d’Eauplet, pourtant endommagé, permit d’évacuer plusieurs dizaines de milliers d’hommes. A Elbeuf, un autre pont resta en fonctionnement jusqu’à l’occupation de la ville lors de la jonction des forces alliées. En plus de trois ponts de bateaux, les Allemands remirent en service plusieurs bacs - comme à Caudebec - pour se sortir des boucles de la Seine. Au final, une cinquantaine de points de passage permirent l’évacuation.

Au 29 août, les opérations de traversée étaient terminées. De toutes les troupes qui se trouvaient en dehors de la poche de Falaise, plus de 90% réussirent à passer, avec les trois quarts des chars. On estime que près de 230 000 hommes, 30 000 véhicules et près de 150 chars réussirent à échapper aux alliés. Après le sanglant fiasco de Chambois et la défaite stratégique dans la bataille de Normandie, cette évasion sous le nez même des poursuivants constituait un succès incontestable.

Succès tactique allemand

Du point de vue allié, quelles raisons peuvent être avancées pour justifier cet échec ? On peut tout d’abord noter qu’après trois années de reculs sur le front soviétique, l’armée allemande était passée maîtresse dans l’art des retraites et des évacuations. Cependant, certains errements des forces alliées concourent à expliquer le succès allemand.

Premièrement, l’aviation alliée a fait défaut. Le temps, incertain, ne l’avantageait pas, mais il faut aussi regarder du côté du haut commandement, certain que l’affaiblissement général de la Wehrmacht permettrait le lancement d’opérations de poursuite à l’image de celles menées par Patton. Dans cette optique, un bombardement trop appuyé sur les infrastructures de passage, les routes d’accès, etc… se serait traduit par des difficultés accrues lorsque les alliés, à leur tour, auraient à traverser la Seine.

28 août 1944 – la 4e DB canadienne traverse la Seine à Elbeuf.
© ANC – PA 113662
Il faut également évoquer l’épuisement au niveau des troupes et l’improvisation au niveau des chefs. Après plus de 11 semaines de combat, les divisions alliées couraient sur leurs réserves – la 59e DI Staffordshire dut être dissoute immédiatement après la bataille de la poche de Falaise, ses effectifs servant à compléter d’autres unités.

Au niveau du commandement, le déroulement de la bataille de la poche de Falaise montre à quel point toutes les opérations avaient du être improvisées devant la transformation de la guerre de position en guerre de mouvement. Après le point d’orgue de Montormel, déluge de feu et de sang, il semble que les manœuvres sur la Seine aient été traitées avec une certaine désinvolture. Cette attitude coûtera pourtant cher : à peine de deux semaines plus tard, les parachutistes britanniques engagés à Arnhem dans l’opération Market-Garden trouveront face eux les 9e et 10e SS-PzD, qui se reposaient et se reformaient après avoir été malmenées en Normandie...

Toutefois, pour la plupart des troupes du IIIe Reich, la traversée de la Seine n’était qu’un sursis. En effet, la plupart des unités britanniques avaient traversé à compter du 28 août et se lançaient à la poursuite de l'ennemi dans un mouvement qui ne devait s'arrêter qu'en Belgique. Pour exemple, la 1ère DB polonaise avait repris sa course le 28, libéré Blangy le 1er septembre, puis Abbeville le 3. Le 9, quand la poursuite prit fin, les Polonais avaient parcouru 470 km en dix jours ! On peut également citer la division blindée Guards, qui libéra Bruxelles dès le 4 septembre...