Cobra – la percée américaine

Situation générale sur le front normand - fin Juillet

Sherman « dozer » dans le bocage. La configuration en bocage,
particulièrement intense dans le secteur américain, offrait aux
Allemands des conditions défensives idéales.
© CR Basse Normandie – National Archives USA
Depuis le débarquement du 6 juin 1944, la progression alliée avait été conséquente, mais non décisive. Sur le flanc est de la tête de pont, la 2e Armée britannique (Dempsey) venait par l'opération Goodwood de capturer la rive sud de l’Orne, à Caen, et tentait sans grand succès de progresser sur la plaine qui se déroulait jusqu’à Falaise. A l’ouest, la 1ère Armée US (Bradley) venait d’user en trois semaines ses meilleures divisions dans des combats sanglants pour un gain territorial limité. Certes, elle avait libéré tout le Cotentin et pris Cherbourg, mais sa progression vers le sud était fortement handicapée par le terrible bocage normand et les défenses adverses – les GI’s parlaient à juste titre de la guerre des haies.

Malgré ce constat, la situation tournait irrémédiablement à la faveur des Anglo-Saxons. Au niveau des forces en présence, plus d’un million de soldats alliés avaient débarqué en juillet, pour seulement quelques dizaines de milliers de renforts côté allemand. Les soldats alliés ne sont pas seulement plus nombreux ; leur expérience et leur motivation ont augmenté. A l’inverse, les Allemands souffrent de leurs faibles réserves : les « vétérans » ne sont plus qu’une poignée, tandis que le gros de la troupe est formé de recrues jeunes et inexpérimentées. Le fanatisme de divisions SS comme la Leibstandarte, la Das Reich ou encore la Hitlerjugend permet de surmonter en partie ces manques, mais il s’agit d’exceptions. Le recours à des unités d’Osttruppen, constituées d’anciens prisonniers issus de l'Armée Rouge, dont la motivation et la loyauté laissent perplexe, montre le dénuement extrême de la Wehrmacht. Enfin, que penser de la valeur combative de tous les enrôlés de force – Alsaciens, Lorrains, ou Silésiens – dont beaucoup déserteront à l’occasion des combats...

Chasseur-bombardier Typhoon. Son appui à l’infanterie et aux
blindés alliés fut décisif tout au long de la campagne de
Normandie, permettant de surmonter la supériorité technique des
blindés allemands.
Au niveau du matériel, 350 000 véhicules, 1,5 millions de tonnes de munitions et d’équipements en tous genres ont été débarqués au 20 juillet par les ports artificiels ainsi que par Cherbourg, rendu opérationnel. Les alliés ont reçu plusieurs milliers de chars neufs, tandis que les remplacements allemands se comptent en dizaines d’unités. Certes, la 503e s. Pz. Abt. vient d’arriver avec ses 45 Tiger II, modèle que ne peut défier aucun char allié, mais ce verre d’eau ne saura certainement pas éteindre l’incendie. Contre les 750 chars et 15 divisions déployés par Bradley le 24 juillet, les Allemands ne peuvent opposer que 150 blindés et 9 divisions.

Au niveau des tactiques, les militaires alliés ont très vite appris à s'adapter aux conditions du champ de bataille. Pour faire face au bocage, ils ont équipé leurs chars de mâchoires d’acier : ces Sherman Hedgecutters pourront désormais passer les haies sans présenter leur ventre, partie la moins blindée, aux Panzerschreck et Panzerfaust Allemands. Pour faire face à la supériorité qualitative des blindés allemands, ils disposent de l’appui de l’aviation. Cet appui peut être autant tactique (Chasseurs-bombardiers P47 Thunderbolt ou Typhoon) que stratégique (recours aux bombardements stratégiques - Carpet Bombings). Au dessus de la Normandie, la Luftwaffe combattait à un contre dix… Enfin, pour vaincre la capacité de mouvement de l’ennemi, ils ont poussé la mécanisation au point de se passer définitivement de la force hippomobile, tandis que les divisions d'infanterie allemandes y ont encore massivement recours. C’est désormais les Alliés qui imposeront le rythme du combat.

L’opération Cobra

Prenant acte de l’échec de la guerre des haies, Bradley avait commencé à préparer une opération d’envergure, qui se baserait sur l’expérience acquise dans les combats précédents. Cette fois, Bradley visait un espace réduit, entre les rivières Vire et Lozon. Un bombardement massif devait toucher un périmètre restreint et éliminer toute défense allemande dans ce secteur. L’infanterie tiendrait écartées les mâchoires de la trouée tandis que les blindés s'engoufreraient dans la brèche. Un assaut simultané des autres corps d’armée disponibles empêcherait les Allemands de se regrouper.

A Coutances, une colonne de GI’s progresse, soutenue par un
char Sherman. La coordination entre infanterie et blindés fut l’une
des clés du succès de Cobra.
© CR Basse Normandie – National Archives USA
Après un faux départ le 24 juillet en raison du mauvais temps, l’attaque massive est lancée le 25. Entre La Chapelle-Enjuger et Hébécrevon, c’est 1.900 bombardiers lourds ainsi que 600 bombardiers moyens et chasseurs bombardiers qui pilonnent pendant trois heures un terrain de 7x3 km, larguant plus de 4 000 Tonnes de bombes. Si les premières lignes américaines furent également touchées, c’est l’enfer qui s’ouvrit devant les Allemands : des fantassins furent enterrés vivants dans leur abris, les chars de 40 tonnes étaient retournés comme des jouets. La division d'élite Panzer Lehr, qui avait donné tant de fil à retordre lors des opérations précédentes, fut pratiquement anéantie ; les autres unités furent plus ou moins gravement touchées.

Une fois passé le choc du bombardement, l’infanterie américaine passa la journée du 25 à ouvrir la voie aux blindés. L’effort principal porta sur le 7e Corps – ses 9e et 30e DI, au milieu du front américain, menèrent de difficiles combats contre les troupes demeurées en état de combattre. Néanmoins, Bradley avait vu juste : les forces allemandes qui n’avaient pas été anéanties au cours du bombardement pouvaient tout au plus essayer de s’accrocher au terrain, mais n’étaient pas en état de porter des contre-attaques.

Jouant l'effet de masse, Bradley décida de jeter le 8e Corps de Middleton dans la bataille dès le 26 juillet afin d'empêcher tout transfert de troupes allemandes vers le secteur menacé. Chars américains à Avranches. En saisissant Avranches, les
Américains s’ouvrirent la porte de la Bretagne. La percée avait
enfin eu lieu ! © CR Basse Normandie – National Archives USA
Le même jour, ses 2e et 3e divisions blindées remplacèrent les divisions d'infanterie en tant que fer de lance de l'attaque. La masse blindée emporta la décision, les chars réussissant à pénétrer profondément derrière les lignes allemandes : en soirée, n'ayant perdu guère plus d'une poignée de ses chars, la 2e division blindée avait avancé de 10 kilomètres. Canisy était libéré le même jour.

Le 27, l'avance américaine représentait 25 kilomètres, et la ruée ininterrompue des 2e et 3e divisions blindées encerclait progressivement les unités allemandes qui faisaient face à l'attaque du 8e Corps, à l'ouest de l'assaut principal. Tandis que Middleton parvenait à se saisir de Coutances, empêchant Von Choltitz de reconstruire une ligne de front avec les restes du 84e Corps, la 2e SS-PzD Das Reich était encerclée dans la poche de Roncey, et voyait plusieurs de ses unités détruites en tentant de s'échapper, entre Notre-Dame de Cenilly et Saint-Denis du Gast.

Les Américains continuaient à pousser au sud. Le 30, ils occupaient et dépassaient Avranches. Le 31, par la prise du pont de Pontaubault, la porte de la Bretagne s’ouvrait devant eux. De ce point, ils pouvaient aisément contourner les Allemands, qui avaient perdu l’adossement à l’océan. La percée tant recherchée s’était enfin réalisée!