21 août 1944: la fin de la 7e Armée allemande

Derniers combats

Fin août 1944 – le gen. Elfeld, commandant du 84e Korps, a été fait
prisonnier sur la côte 113. On le voit sur cette photo, interrogé par
des soldats américains.
Après les massacres de la journée, la nuit vint comme un soulagement tant pour les Polonais que pour les Allemands. Après le 47e PzKorps, dont l’évacuation se terminait dans la nuit, le 74e Korps, moins mobile, prit la direction de la côte 262. Son arrière-garde était constituée des restes de la 116e PzD, qui avait défendu Argentan et se retirait à son tour. Comme les troupes polonaises n’étaient plus en état d’intervenir et que les Allemands cherchaient avant tout à s'échapper, les deux camps évitaient maintenant le contact. Les combats n’éclataient que sporadiquement, mais la nuit était entrecoupée des salves régulières d'artillerie qui cherchaient dans l’obscurité les troupes allemandes. 

Tôt le matin, quelques C47 Dakota parachutèrent des containers de munitions, mais en raison d'une erreur de navigation, la plupart d'entre eux tomba sur les positions canadiennes sur la colline 240. Cette tentative manquée s’avéra particulièrement agaçante, alors que les attaques allemandes reprenaient au matin avec une violence accrue. Même si elles manquaient de coordination après deux jours de combat impitoyables, ces attaques menacèrent à nouveau le périmètre polonais, et ne furent repoussées que par l'appui massif de l'artillerie, à quelques mètres à peine des tranchées. Les chars des régiments blindés utilisèrent leurs derniers obus pour terminer le travail de l'artillerie.

Juste avant midi, un dernier assaut fut lancé par des troupes SS (peut-être de la 12e SS-PzD) sur le 9e bataillon de chasseurs, surplombant l'église de Coudehard. Pour économiser leurs munitions, les chasseurs laissèrent les Allemands approcher, et ne déclenchèrent leur feu qu’au dernier moment. Cet affrontement fut particulièrement sauvage, et bientôt, des dizaines de corps allemands s’empilaient autour de l'église.

La photo qui illustre probablement le mieux l'intensité des combats -
un Sherman et un Panther détruits à bout portant devant Boisjos.
Il était midi lorsque les premiers chars du Canadian Grenadier Guards arrivèrent en face de Boisjos, bien qu’un mince rideau de troupes allemandes les séparât toujours des Polonais. Pour effectuer la jonction, une partie de défenseurs de Maczuga se rua, baïonnette au canon, dans une charge sanglante. Rapidement, cette attaque bouscula les Allemands et les chars canadiens commencèrent à arriver sur Maczuga, au grand soulagement de Stefanowicz. Soudain, un Panther isolé qui avait avancé à couvert déboucha dans la cour du manoir de Boisjos, ouvrant le feu sur l’hôpital polonais et sur les chars Canadiens, avant de s’échapper en direction de Champosoult. Il n’eut pas le temps d’aller bien loin – un Sherman, embusqué derrière une haie, la prit pour cible. Dans l’échange qui s’ensuivit, les deux ennemis firent feu simultanément, et se détruisirent.

Ce devait être la dernière alerte. L'arrivée des Canadiens permit aux Polonais de percevoir le ravitaillement tant attendu et d’évacuer leurs blessés. En début d'après-midi, quelques groupes d’Allemands désespérés lancèrent encore quelques attaques locales dans le secteur tenu par le 1er régiment blindé mais, dorénavant ravitaillés, les tankistes polonais les repoussèrent facilement. Dans le courant de l'après-midi, les 2e et 9e SS-PzD reçurent l’ordre de se retirer sur Champosoult, puis Vimoutiers : le 2e SS-PzKorps prenait la route de la Seine.

La journée du 21 se termina à nettoyer la poche et à recueillir les prisonniers, dont plusieurs centaines se rendirent aux ponts de Saint-Lambert. Plus de 700 autres se constituèrent prisonniers à Tournai, profitant de la médiation de l'abbé Launay. Quelques éléments isolés – dont au moins un Panther – réussirent encore à se faufiler, profitant de la confusion générale.

Le 22 août, à 4 heures du matin, les Canadiens de la 3e DI capturèrent encore une centaine d’Allemands dans la plaine. La Bataille de la Poche de Falaise était terminée.

Bilan de la bataille de la poche de Falaise

Lorsque les canadiens de la 4e DB parvinrent enfin à rejoindre les Polonais retranchés sur Maczuga, ils tombèrent sur les scènes d’une tragédie effroyable. Amoncelés de partout, des milliers de cadavres allemands, emmêlés dans des poses grotesques avec les carcasses de véhicules calcinés, des débris d’équipement militaire de toute sorte, couvraient les champs et les vergers. Chevaux morts, attelages, canons, chars éventrés, parsemaient une campagne ravagée par l’artillerie, l’aviation, et les armes automatiques. Par endroits, des soldats Polonais et allemands gisaient côte à côte, la mort les ayant unis dans un ultime corps à corps à l’arme blanche. L’odeur de sang et de mort commençait à se répandre jusqu’à tout imprégner autour des points sanitaires improvisés dans des abris de fortune. Des Polonais originellement parvenus sur la colline, il restait 4 officiers valides sur 60 et 110 hommes aptes au combat sur 1 500. Sur 87 chars parvenus sur la "Massue", moins d’une trentaine étaient encore en état de combattre. La côte 262, que les Polonais appelèrent Maczuga, devint ainsi pour les Canadiens the Polish Battlefield.

Dans Saint Lambert sur Dives, où le groupe de combat du major Currie avait détruit 7 chars ennemis, une dizaine de canons de 88 mm, et plus de 40 véhicules divers, le spectacle était semblable. Une dizaine de Sherman finissaient de se consumer, les prisonniers s’entassaient sous les vergers. Les blessés avaient toutefois pu bénéficier de la relative continuité de la ligne de front pour être évacués auparavant.

Matériel allemand détruit au cours des combats de la poche et
regroupé dans la pleine de la Dives. Il faudra plus de trente ans
aux ferrailleurs pour venir à bout des dernières épaves…
La bataille terminée, l’heure des comptes arrivait. Outre un constat d’horreur absolue, c’est le déséquilibre des pertes qui frappait le plus.

Chez les Alliés, on déplorait :

  • Pour la seule 1ère DB Polonaise, sur les sites de Chambois et de la côte 262 : 325 tués, 1 002 blessés, 114 disparus, soit 20% de l’effectif combattant ;
  • Les 4e DB et 3e DI canadiennes comptaient 260 hommes hors de combat ;
  • Les 90e et 80e DI US annoncent 760 pertes pour la même période, mais ces chiffres comptent pour l’ensemble des zones d’opération d'Argentan à Chambois.

Par ailleurs, plus d’une centaine de victimes civiles sont à déplorer.

Fin août 1944, le commandant suprême fit une visite sur le champ
de bataille. On le voir ici à côté de la carcasse d’un Tigre Royal,
détruit dans le couloir de la mort.
Chez les Allemands, les pertes sont difficiles à établir, la poche n’ayant pas été hermétiquement close jusqu’au bout des combats. Les estimations divergent donc, mais il est aujourd’hui généralement admis qu’entre le moment où les Polonais coupent la route Trun-Vimoutiers dans la nuit du 18 au 19, ce sont 100 000 Allemands qui se trouvent enfermés dans la poche. Sur ce nombre, à la reddition des derniers groupes à Tournai sur Dives le matin du 22 août, près de 40 000 avaient réussi à s’échapper, 50 000 furent faits prisonniers, certainement près de 12 000 étant tués.

Les Allemands laissaient dans la poche de Falaise, en plus des pertes humaines, la majeure partie de leur armement lourd, soit :

  • Plus de 200 chars ;
  • Près de 1 000 pièces d’artillerie (150 pour l’artillerie automotrice, 700 pour l’artillerie remorquée, et 100 canons de DCA) ;
  • 130 autochenilles ;
  • 5 000 autres véhicules automobiles.

A cela, il faut ajouter les moyens de transport hippomobile, encore majoritaires dans les divisions d’infanterie allemandes : près de 10 000 chevaux et 2 000 chariots.

A regret, la bataille de la poche de Falaise ne fut pas, comme le titre un livre sur le sujet, un « Stalingrad en Normandie ». Entre le 14 août, date à laquelle Bradley arrêta la progression de Patton vers le Nord, et le 22 août, plus de 100 000 Allemands réussirent à échapper aux Alliés.

La croix de Montormel, après la fin des
combats.
Malgré cet échec relatif, malgré la lenteur avérée et les hésitations du haut commandement allié à réaliser l'encerclement, malgré l’absence de coordination entre les unités relevant des Britanniques et celles relevant des Américains, la poche de Falaise marquait la fin de la bataille de Normandie, précédant la retraite vers la Seine et la poursuite alliée vers le nord.

Quelques jours après la fin des combats, le général Eisenhower se rendit sur ce qui, au prix de trop de sang, était devenu the polish battlefield. A la vue du spectacle macabre, le commandant suprême allié rapportera : « Il était possible pendant des centaines de mètres de ne marcher que sur des restes humains en décomposition, dans un silence pesant, dans une campagne luxuriante où toute vie avait brutalement cessé... C'est l’une des plus grandes tueries de la guerre ».

Adoptant un point de vue plus stratégique, Montgomery devait l'appeler « le commencement de la fin de la guerre ».